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La lecture fondamentaliste de l’Écriture dans le christianisme

19 juillet 2017, par Jean-Louis Cathala

( Extraits d’un article de Claude Geffré o.p., Etudes 12/2002 ( Tome 397 ) , p. 635-645. )

A parler strictement, le fondamentalisme désigne d’abord une lecture littérale de l’Écriture sainte. Comme le dit très bien le texte du Document de la Commission biblique pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Église : « La lecture fondamentaliste part du principe que la Bible, étant la Parole de Dieu inspirée et exempte d’erreur, doit être lue et interprétée littéralement en tous ses détails. »

Le mot même de « fondamentalisme » a une origine américaine. Il se rattache directement au Congrès biblique américain qui s’est tenu en 1895 à Niagra, dans l’État de New York, où les exégètes protestants définirent les points fondamentaux de l’enseignement chrétien. Ce courant, toujours puissant aux États-Unis ( surtout dans les Églises baptistes et pentecôtistes ), demeure attaché à l’inerrance verbale de l’Écriture et à son infaillibilité. Il est relayé aujourd’hui par les créationnistes, qui récusent l’hypothèse darwinienne de l’évolution et veulent prendre à la lettre l’enseignement des premiers chapitres de la Genèse.

( Un ) fondamentalisme biblique populaire se retrouve dans de nombreuses Églises évangéliques, qui tendent à se multiplier en Europe à côté des Églises luthériennes et réformées. Il est présent aussi sous des formes variées dans certains mouvements charismatiques au sein de l’Église catholique. Mais il faut aussi prendre en compte un fondamentalisme scripturaire savant, qui est le fait d’un certain nombre d’exégètes de métier. A l’encontre des conclusions les plus assurées de l’exégèse moderne, ces divers auteurs récusent la datation tardive des évangiles et cherchent à réduire au maximum la distance entre l’enseignement même de Jésus et les écrits du Nouveau Testament. Certains vont jusqu’à imaginer l’existence d’un original hébreu contemporain de Jésus qui serait à l’origine de la version grecque des évangiles. On retrouve chez la plupart cette nostalgie du message chrétien à l’état naissant. Il s’agit d’être en continuité avec le dire même de Jésus, qui renvoie au dire même de Dieu.

Dans le document déjà cité de 1994, L’interprétation de la Bible dans l’église, on trouve un rejet explicite de la lecture fondamentaliste de l’Écriture. La conclusion de cette section est particulièrement sévère : «  Le fondamentalisme invite sans le dire à une forme de suicide de la pensée. Il met dans la vie une fausse certitude, car il confond inconsciemment les limitations humaines du message biblique avec la substance divine de ce message. »

Il convient aussi d’observer que le fondamentalisme peut être une tentation assez spontanée chez tous ceux qui ont découvert le bienfait spirituel de la lecture de la lettre même de l’Écriture comme sacrement de la rencontre de Dieu. Pour ces chrétiens, les explications des exégètes sur la multiplicité de traditions pas toujours concordantes apparaissent comme menaçantes pour la foi elle-même. On constate donc un fossé grandissant entre la lecture spontanément fondamentaliste des croyants, qui redécouvrent avec une certaine fraîcheur les textes bibliques, et la lecture savante des experts. Et la prédication la plus commune ne réussit pas à réduire cette distance en montrant qu’une lecture critique de la Bible peut être, au contraire, une exigence de la foi qui respecte mieux le régime d’incarnation de la Parole de Dieu dans une parole humaine.

Le véritable enjeu théologique d’une lecture fondamentaliste de l’Écriture, c’est la méconnaissance de la nécessaire approche herméneutique qui est engagé dans toute lecture d’un texte, qu’il soit inspiré ou non. La lecture la plus objective d’un texte peut toujours susciter une pluralité d’interprétations. Le fondamentaliste, qu’il soit protestant ou catholique, est caractérisé par un refus de l’herméneutique. Sous prétexte qu’il est révélation de Dieu, un texte inspiré, aussi obscur soit-il, doit être (selon cette lecture ) porteur d’un seul sens, directement accessible. Accepter de reconnaître que l’on ne peut croire qu’en interprétant, c’est-à-dire en vertu d’une naïveté seconde qui est passée par l’épreuve de la critique, c’est déjà tomber dans le libéralisme et le scepticisme. Or, le texte des évangiles est déjà une interprétation, à savoir l’acte d’interprétation de la première communauté chrétienne. Alors que tous les fondamentalismes ont la nostalgie d’une Parole originaire, d’un livre chimiquement pur sorti tout droit de la bouche même de Dieu, nous devons prendre au sérieux l’épaisseur d’un récit lentement élaboré, avec ses hésitations, ses divergences, voire ses contradictions, en fonction même des intérêts de l’Église primitive.

On sait que la thèse classique sur l’inerrance de l’Écriture n’a jamais signifié que la Bible ne contenait aucune erreur scientifique ou historique. Ce qui est garanti par l’Esprit de Dieu, c’est un message religieux, un message sur le mystère de Dieu et sur les voies de l’homme vers Dieu. Comme l’a rappelé la constitution du concile Vatican II sur la révélation, Dei Verbum, il s’agit d’une vérité salutaire. Nous sommes invités à comprendre l’ensemble des écrits du Nouveau Testament comme l’acte d’interprétation de l’événement Jésus-Christ à la lumière de Pâques. C’est ce témoignage apostolique qui est révélation pour les chrétiens et le fondement même de leur foi. Même plus de trente ans après la mort de Jésus, ( les auteurs des évangiles ) sont des témoins fidèles et s’appuient sur des documents historiques, les paroles du Seigneur, certaines Lettres de Paul, une tradition orale qui a donné naissance à des écrits. Mais parce qu’ils sont des témoins croyants qui s’adressent à des croyants, ils reconstruisent un certain Jésus historique qui n’est pas pure reproduction du Jésus terrestre, mais qui est plus révélateur du Jésus réel, le Jésus proclamé par la foi de l’Église primitive. En d’autres termes, le Jésus des évangiles n’est ni tombé du ciel ni inventé, mais, pour une part, il est bien le produit de la foi pascale. Et, contrairement à la crainte de certains fondamentalistes qui lisent les évangiles comme le compte rendu littéral des faits et gestes de Jésus, il n’y a pas lieu d’être troublé si la critique historique s’emploie à montrer que tel détail historique est vraisemblablement inexact, que telle parole n’a pu être prononcée par Jésus, que l’ordre des récits évangéliques ne reproduit pas nécessairement l’ordre chronologiques des événements de la vie de Jésus et de son enseignement. Comme le dit excellemment l’exégète français Pierre Gibert : « Les évangiles ne pourront jamais être tenus uniquement pour une source d’information sur le Christ et sur son enseignement selon l’ordre d’une fidélité de sténographes. Ils sont déjà les témoins de toute activité de l’Esprit Saint et de l’Église dans le temps, dans l’histoire après que les disciples ont éprouvé leur propre impuissance ou insuffisance à saisir sur le moment la véritable nature du Christ et la portée de son enseignement. » ( Dans « Enjeux d’un fondamentalisme catholique. » )

Ainsi, en dépit de leurs divergences – et même parfois de leurs contradictions - , les quatre évangiles nous renvoient chacun à la vérité du message évangélique sur Jésus. Souvent, les faits concernant la vie de Jésus sont de faits élaborés théologiquement, même s’ils s’enracinent dans des faits historiques. C’est le cas, par exemple, dans le récit de la Transfiguration de Jésus. Le fait historique, dans ce qu’il a de fugitif, est inaccessible, et le fait élaboré n’a pas la prétention d’en être la retranscription. Il s’agit moins de savoir si ce qui est raconté s’est bien passé ainsi, que de découvrir la signification pour la foi en Jésus-Christ des faits racontés}}}. Comme le dit de manière très suggestive l’exégète anglican Graham Stanton : «  Ils ( les évangélistes ) nous donnent quatre portraits de Jésus, et quatre portraits sont infiniment plus révélateurs que quatre photographies. »

Claude Geffré.