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Diocèse de Montpellier

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Confession d’un cardinal

30 juin 2020, par Jean-Louis Cathala

Dans le livre « Confession d’un cardinal »- ouvrage déjà un peu ancien - l’écrivain catholique Olivier Le Gendre donne la voix à un cardinal anonyme. Celui-ci donne quelques éclairages sur la façon dont certaines communautés nouvelles sont appréhendées par la hiérarchie catholique.

Éminence, vous avez parlé d’une tendance minoritaire dans l’Église et très organisée, et d’une autre, majoritaire, mais peu visible.
La tendance minoritaire a en effet acquis beaucoup de visibilité sous le pontificat de Jean Paul II : elle lui a fourni les gros bataillons de ses supporters.

Qui en fait partie ?
En gros, la majorité de ce que l’on appelle les nouveaux mouvements, nés depuis la guerre, certains juste avant, et qui ont connu une assez forte expansion depuis le Concile. Je pense, mais c’est un peu réducteur de la personnalité de chacun d’eux de les nommer l’un à la suite de l’autre, à Communion et Libération, aux Foccolari, à l’Opus Dei, au Chemin Néocatéchuménal.

Excusez-moi, vous ne semblez pas y inclure les mouvements charismatiques comme l’Emmanuel ou le Chemin Neuf.
Non, ces groupes appartiennent à ce que l’on nomme les nouveaux mouvements, mais ils se distinguent de ceux que j’ai nommés car leurs intentions sont exclusivement spirituelles.

Alors que les autres poursuivent d’autres buts ?
Certains agissent ouvertement comme des groupes de pression à l’intérieur de l’Église. D’autres, par exemple Communion et Libération, ont une forte visée sociale, voire politique. En face de ces groupes très organisés, il y a l’autre tendance, désorganisée, moins visible, celle qui regroupe la multitude des chrétiens de base, attachés à leurs paroisses, plus ouverts aux réalités du monde.

On a parfois dit que certains mouvements de la première tendance ont des comportements sectaires.
Oui. Quelques-uns de ces mouvements exigent beaucoup de leurs membres : obéissance, disponibilité, exclusivité, contribution financière importante, révérence à l’égard des fondateurs et des responsables. Face à ces exigences, vous pouvez porter deux jugements. Le premier est de vous émerveiller de la générosité de ces chrétiens. Le second est de vous demander si ces exigences ne vont pas trop loin, si elles ne profitent pas exclusivement aux dirigeants, si elles ne sont pas imposées par des pressions mentales anormales.

Vous pensez à l’Opus dei ?
Comme tout le monde. Mais pas qu’à l’Opus ! Quand le secret et la méfiance à l’égard du monde extérieur sont au cœur des instructions données aux membres d’une institution, je m’inquiète. Ensuite, chaque fois que ces membres sont imposés financièrement de façon régulière et continue, il y a également risque de dérive. Enfin, la vénération exigée à l’égard des paroles des fondateurs, voire du moindre détail de leur vie érigée en légende dorée, est aussi un signe de dérives dangereuses.

Quand vous rassemblez ces trois dérives - secret, argent, vénération - vous définissez des groupes sectaires ?
Oui, quand vous rassemblez ces trois dérives, vous êtes près d’être un mouvement sectaire. Et le fait de vous trouver au sein de l’Église catholique n’y change rien.

Pourquoi ces dérives sont-elles tolérées par la hiérarchie ?
Première raison : il faudrait pouvoir enquêter sérieusement et objectivement pour savoir si les critiques - notamment d’anciens membres de ces mouvements, sont fondées. Quatre mouvements principaux ont fait l’objet d’accusations de dérives sectaires : les Foccolari, le Chemin Néocatéchuménal, l’Opus Dei, les Légionnaires du Christ. Il est dangereux de couvrir ces accusations du manteau du silence, il serait préférable d’investiguer pour arriver à une conclusion claire.

Pourquoi ne le fait-on pas ?
Nous avons été plusieurs à essayer, croyez-moi ! Nous avons mis en garde, nous avons parlé au pape et à Sodano bien sûr. Nous sommes intervenus auprès du Conseil pour les Laïcs dont la plupart dépendent.

Quand vous dites « nous », vous pensez à qui ?
Moi d’abord ; des évêques résidentiels comme Carlo Martini avant qu’il quitte le diocèse de Milan ; Daneels de Belgique ; un nombre non négligeable d’évêques de votre pays ; des Américains aussi qui ont interdit certains de ces groupes.

Et pourquoi vos interventions n’ont-elles pas abouti ?
Elles n’ont pas abouti officiellement. Cependant, certaines actions ont été menées et certaines mises en garde officieuses ont eu lieu. En fait, la secrétairerie d’État jugeait que des actions officielles n’étaient pas justifiées tant que des certitudes n’étaient pas avérées…

Quelles sont les autres raisons ?
La deuxième est moins honorable. Ces mouvements ont su se rendre utiles à l’Église ou à certains de ses dirigeants. Ils ont toujours mené des actions de relations publiques auprès des uns et des autres, nouant des solidarités, des amitiés… Bref, il existe un réseau au sein de la hiérarchie qui soutient ces mouvements.

Qui les soutenait ?
Il est de notoriété que Cipriani Thorpe, le cardinal de Lima, est membre de l’Opus Dei, ainsi que Julian Herrans, membre de la curie, lui aussi cardinal. Le cardinal Ratzinger était proche de Communion et Libération qui, d’ailleurs, n’est pas un mouvement aux dérives sectaires. Sodano, le cardinal secrétaire d’État, est proche des Légionnaires du Christ et de l’Opus… Scola, le cardinal de Venise, est membre de Communion et Libération. Un des secrétaires particuliers de Benoît XVI, Mgr Gaenswein, était professeur à l’université de la Sainte-Croix à Rome qui appartient à l’Opus… Pour moi, la vraie question réside dans le fait que ces mouvements, très organisés, sont conduits par une analyse de l’état de l’Église qui est erronée.

Nous avons donc au sein de l’Église des mouvements très organisés, très puissants, disposant de moyens financiers importants, bénéficiant de la faveur de hauts dignitaires. Quel est leur but ?
Je vous répète qu’il est un peu osé de les ranger sous la même bannière. Nous ne l’avons fait que par commodité. Leur point commun est une fidélité proclamée au pape, au besoin en se libérant de l’autorité des évêques dans les diocèses où ils se trouvent. Leur pensée est conservatrice et leur théologie parfois approximative. Leur but proclamé est la nouvelle évangélisation, leur intention plus discrète est de peser dans l’Église et la société où ils se trouvent. À côté de leur agenda religieux coexiste un agenda politique.

Ils ont plu à Jean Paul II, c’est une évidence…
Ils lui ont plu parce qu’ils se sont mis à sa disposition.

On dit que ces groupes avaient toujours eu à cœur d’organiser une présence massive de leurs adhérents lors des apparitions publiques du pape.
Le fondateur du Chemin Néocatéchuménal, par exemple, promit à Jean Paul II d’envoyer cinquante mille de ses membres aux JMJ de Denver en 1993. Cette délégation représentait plus de dix pour cent des participants, ce qui est énorme ! Il n’y avait pas une sortie du pape sans que des représentants de ces mouvements soient délégués pour manifester leur soutien.

On comprend que Jean Paul II n’ait pas voulu prêter l’oreille aux accusations de dérives qui surgissaient.
Il détournait même la conversation quand nous essayions de lui en parler. C’était un sujet tabou. À vrai dire, on le comprend, il avait besoin d’eux.

Comment cela ?
Replacez-vous dans le contexte de son élection, en 1978. Il trouve une Église dont les forces traditionnelles connaissent une crise sérieuse. Les vocations diminuent, de nombreux prêtres quittent le sacerdoce en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, une partie des ordres religieux se donne des engagements politiques et sociaux. Arrivant de Pologne où la religion est la seule force de résistance au marxisme, il a l’impression que cette idéologie est en train de prendre le dessus en Amérique latine avec l’aide des prêtres. Il redoute qu’il en soit de même en Asie. Les mouvements lui sont apparus comme une force qu’il pouvait mobiliser pour ses desseins alors qu’il jugeait que les groupes traditionnels, jésuites, dominicains, franciscains et autres, étaient dangereusement affaiblis.

Un des arguments des partisans de ces mouvements, c’est qu’ils représentent aujourd’hui ce que représentaient les grands ordres religieux dans les siècles passés.
L’argument est souvent avancé. Il omet une réalité fondamentale. Ces grands ordres, jésuites, dominicains, franciscains, carmélites, et toutes ces
innombrables congrégations religieuses féminines ou masculines, rassemblaient et rassemblent des personnes professant une vocation religieuse et respectant des règles de vie éprouvées. Leur période de noviciat avant les engagements définitifs est longue, leur structure est solide, leur théologie est réfléchie. Leur mode de gouvernement est étonnamment démocratique. Les nouveaux mouvements, eux, rassemblent des laïcs, même si certains prêtres en font partie, qui n’ont pas la même protection. Le recrutement de certains est extrêmement agressif. Le poids financier omniprésent. L’autorité s’y exerce sans réel contrôle.

C’est difficile pour vous, n’est-ce pas, de parler de ces mouvements, de leur influence, de leurs pratiques ?.
Oui, c’est difficile, car c’est accepter de mettre au jour des événements, des façons de faire, des débats qui, je le crois, font du mal à l’Église. Un double mal en fait. D’abord, je pense à certaines de ces personnes qui se sont laissées embrigader dans des structures qui ne les épanouissent pas. Ensuite, je crois que certains de ces mouvements se trompent dans leurs objectifs. Ils ne comprennent pas qu’ils ne sont pas crédibles pour la majeure partie de nos contemporains. Ils donnent une image de la foi et de la religion peut-être recevable il y a quelques siècles, mais qui n’a aucune chance de convaincre aujourd’hui au-delà d’un cercle restreint.

Source : “Confessions d’un Cardinal” d’Olivier Le Gendre Éd. J.-C. Lattès, 2010, pp. 263-271.