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Diocèse de Montpellier

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Texte Moingt 95… : Acte créateur et retrait de Dieu

29 mai 2023, par Jean-Louis Cathala

Le philosophe juif Hans Jonas expose en 1984 ( « Le concept de Dieu après Auschwitz  » – Payot 1984) les réflexions que lui suggèrent le cas exemplaire où l’abstention de Dieu face au tragique de l’histoire frappe l’idée de création d’un non-sens absolu : quand la fureur nazie met en œuvre la « solution finale », la destruction générale et définitive du peuple élu de Dieu (…) sans que celui-ci intervienne pour l’arracher à l’anéantissement. Jonas voit le concept de Dieu directement mis en cause par ce tragique non-sens : l’Alliance retournée en malédiction (…) Jonas accepte l’idée d’un Dieu souffrant, en devenir, soucieux de sa création, mais la laissant à son autonomie (…) et donc, finalement, l’idée d’un Dieu qui n’est pas tout-puissant (…) Hans Jonas a raison de concevoir l’acte créateur sous mode d’effacement, de retrait de Dieu, seule façon de ne pas établir le rapport de Dieu au monde qui en découle sous le modèle de la domination. A cet effacement correspond en théologie chrétienne la notion de Kénose, qui désigne aussi une forme d’anéantissement, de perte de soi. Mais comment l’entendra-t-on ? Très différemment selon qu’on se place dans la perspective d’un Dieu solitaire ou trinitaire (…) Car un Dieu solitaire n’a pas la présence d’un sujet, il ne parle pas, en tout cas il ne communique pas, car il n’est de vraie parole que celle qui revient au locuteur en se réfléchissant sur l’écoute de son destinataire ; face au monde, ou bien ce Dieu restera enfermé et absorbé en lui-même, indifférent à ce qui est au-dessous de lui, tel le dieu des philosophies anciennes ; ou bien il se tiendra en position de fabrication et de domination, comme les démiurges des traditions religieuses ; ou alors il disparaîtra dans le monde et se laissera absorber par lui, et c’est ce qui arrive ou risque d’arriver à l’En-sof de la Kabbale. Le Dieu trinitaire, lui, crée par un dire (…) Pour créer, il n’a pas besoin de se défaire de sa toute-puissance (…) parce qu’une relation de puissance est impensable dans l’enceinte trinitaire, là où tout est don et communion (…) L’amour a sa propre puissance, telle que l’Évangile la définit, celle d’élever en abaissant, (…) mais on ne fera appel à nulle autre puissance créatrice qu’à celle qui émane de la passivité de l’amour (…) Rien dans la création n’est, à aucun moment, œuvre de puissance, c’est pourquoi Dieu et l’homme partagent la même souffrance ; jamais pourtant ne manquent la vigilance ni la consolation de l’amour divin, mais il passe par la médiation des hommes, c’est pourquoi le silence de Dieu est plus souvent et plus intensément perçu que sa présence (…) L’homme qui ne comprend pas ce silence souffre et se révolte, il en appelle à la Toute-puissance du Créateur (…) Mais d’où a-t-il appris que Dieu est tout-puissant, à la manière dont il le comprend, celle d’un faiseur de prodiges ? (…) Il tient cette idée des perceptions du divin qu’il reçoit de l’expérience du monde, il mesure la puissance de Dieu à l’aune de ses besoins et de ses désirs (…) Le travail d’enfantement (de la création) est loin d’être achevé (…) Il lui reste à « éditer » une vraie Parole de Dieu pour que l’homme connaisse en vérité son Créateur, quand sera mis au monde l’enfant-Dieu que porte le monde.

Joseph Moingt – Dieu qui vient à l’homme – T. 2, Vol. 1 – Cerf 2012 – pp. 321-324-327.