Texte Moingt 94 … : Mais il y a la souffrance !

Mais il y a la souffrance. On aurait de bons motifs d’en rejeter une partie dans la mortalité contractée dès la naissance, et de renvoyer le reste aux hasards des dérèglements de la nature, des événements de la vie et des actions humaines. On n’empêchera cependant personne de ressentir la souffrance d’un seul petit enfant comme un mal injustifiable s’il est dû à la fatalité ou inexpiable s’il a pour cause une faute ou même une simple défaillance humaine. Va-t-on faire remonter ce mal jusqu’à Dieu qui ne l’a pas empêché ? Voudrait-on alors qu’il intervienne incessamment dans le cours des choses ou des événements ? (…) Que Dieu crée par pur amour ne lui retire en rien le pouvoir d’agir, dans ce monde qui est son œuvre, précisément par amour de ses créatures ; qu’il se soit fixé pour règle de ne pas entraver leur liberté ne doit pas le détourner de le faire quand le bien de l’un est menacé par la volonté coupable d’un autre, ainsi que la morale nous en fait le devoir sous peine de devenir complice du mal qui va être commis (…) On se résignera à son abstention dans la banalité du quotidien (mais la douleur d’un enfant est-elle si petite chose ?), dans la masse des maux qui sont le lot commun de l’humanité ; toutefois, quand arrivent des événement insolites et monstrueux, qui crèvent la mesure tolérable du malheur, alors la révolte explose, car l’inaction de Dieu paraît enlever tout sens à son projet créateur et sauveur.