Texte Moingt 60… : L’être-pour-l’autre

La philosophie, partant d’une notion purement rationnelle de la divinité,a du mal à concevoir (…) qu’(elle) se sente lié(e) à sa création, mais la révélation de Dieu comme amour montre dans l’acte créateur l’accomplissement tout gratuit du même désir par lequel Dieu se constitue nécessairement en trinité. Essentiellement intersubjective, en effet, en tant qu’elle est placée sous le régime de l’adoption filiale des hommes par le Père, l’économie est la dispensation de l’amour intratrinitaire en dehors de lui, et elle se présuppose dans l’origine du Verbe et de l’Esprit sous la forme d’un possible être-en-devenir et être-communiqué de l’un et de l’autre, double principe du temps et de l’espace fondateurs de l’être au monde d’autres étants différents de Dieu (…) Dieu se constitue en trinité par l’acte éternel d’exister comme il aime, de l’acte même d’aimer, qui consiste à se donner à un autre en reproduisant en lui son désir insatiable de l’autre. Il devient Père par un acte de dépossession qui éloigne de lui celui qu’il jette dans l’existence pour être aimé de lui dans la pleine liberté de l’amour d’aimer qui il veut. La naissance du Verbe, qui épuise l’amour du Père en redoublant son désir, fait advenir en lui la possibilité d’une multitude d’autres sujets possibles du même amour, nécessairement différent du verbe engendré sous la raison d’être l’Unique, et dont la seule raison de venir à l’existence serait d’être à sa ressemblance, capables d’aimer le Père et d’être aimés de lui. Le Verbe prend donc origine à la fois comme l’autre du Père, qui subsiste de l’être que son amour lui donne en partage, et comme la relation du Père à tout antre étant possible que lui, son être-pour-l’autre. En même temps qu’il communie à l’existence éternelle du Père, il existe en devenir- autre, en projection vers l’autre, en charge de dispenser les richesses de vie que l’amour du Père dépose en lui comme l’infinie possibilité de donner la vie à d’autres qui ne l’ont pas en eux-mêmes, de les faire exister par participation à sa propre vie, à lui qui est l’Unique. Il devra pour cela se livrer à l’autre dans un acte d’abandon total, jusqu’à se faire lui-même autre que Dieu est pour que de l’autre soit.