Paroisse Saint-Paul et Sainte-Croix

Quartiers de Celleneuve et la Paillade

Diocèse de Montpellier

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Adam et Eve

10 décembre 2017, par Jean-Louis Cathala

Une lecture de la psychanalyste Marie Balmary (extraits d’un article du Monde des religions N° 86 pp 42 à 45)

Dans le premier récit de la Création (Genèse 1, 1 à 2, 4a), il est écrit « mâle et femelle, il les créa » (1,27). Il y a seulement l’Adam, l’humain (de humus, la terre), le terrien. Mais il n’y a pas encore d’homme et de femme. Ces deux mots apparaissent dans le second récit de la Création (2, 4b et s.), quand l’Adam n’a pas trouvé d’aide pour lui parmi tous les animaux. Alors, le Créateur le fait dormir et tire de son côté la femme. A son réveil, l’humain dit : « Celle-ci sera appelée femme car de l’homme elle a été prise » (2, 23). Là apparaissent isha, la femme, et ish, l’homme, par leur rencontre. Notons que le mot « femme » vient avant le mot « homme » dans la Bible.

L’humain est créé « en l’image de Dieu » (1, 27)- non pas selon son espèce. L’image divine est une relation. L’enjeu de cette relation, c’est la parole, l’altérité. Si Dieu a fait les humains à son image, à eux d’atteindre la ressemblance à Dieu qu’il s’est retenu de faire. Cela donne une dimension particulière à la vie humaine : l’accès à la vie divine.

Entre la création d’Adam et la formation de la femme, Dieu dit : « Tu mangeras de tous les arbres du jardin ; et de l’arbre à connaître bon et mauvais, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu mourras » (2, 16-17). Le Créateur fait ici deux dons : la nourriture et l’interdit. Cet « inter-dit » est un « dire-entre », qui permet que tout ne soit pas consommable, mangeable. C’est l’entrée dans la parole, l’accès à la négation. En effet, « manger » est le verbe le plus dédifférenciant qui soit. Si l’on veut garder une différence, on ne peut pas mieux le montrer que par un « ne pas manger ». Si je mange ce fruit, il devient moi, il disparaît. Le « ne pas manger » peut ouvrir à un autre connaître, qui ne se fait pas par le « manger l’autre », mais par l’écoute de l’autre. [1] A ce moment là, l’interdit n’est plus lu comme donné par Dieu pour que les hommes ne deviennent pas des dieux (ce qui est la lecture du serpent et de ceux qui enseignent que le Créateur se réserve la connaissance !). Bien au contraire, cet interdit permet l’accès à une bonne connaissance. C’est par un « ne pas » qu’il y a de l’autre, de l’alliance, de la relation de sujet à sujet.

Le serpent dit : « Vous ne mourrez pas car Dieu connaît que au jour où vous mangerez de lui (du fruit) vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux connaissant bon et mauvais » (3, 5). Il place l’interdit entre les humains et le divin, non plus entre l’homme et la femme. L’épreuve est donc de refuser cette tentation de puissance indifférenciée et d’arriver à parler à la première et deuxième personne, bien différenciés par la négation, reconnaissant leur manque. Ce manque, pauvreté pour la toute-puissance, est une richesse pour la parole. La toute-puissance, c’est « vous aurez tout à condition que vous vous débarrassiez de la différence divine ». On est dans l’idolâtrie totalitaire. Que la « transgression libératrice » donne la connaissance, c’est la version du serpent. Or, l’homme et la femme ne deviennent pas comme des dieux ; ils se cachent dans l’arbre, se revêtent de feuilles du figuier. Ils ne sont plus protégés par une négation qu’ils n’ont pas respectée (3, 10). Si elle n’est pas habillée de parole, la nudité est problématique. L’union sexuelle ne transgresse que le faux interdit du mauvais Dieu, l’ogre, le « Dieu pervers » (Maurice Bellet). Et il n’est pas écrit : « tu enfanteras dans la douleur », mais « Dans le chagrin, tu enfanteras des fils » (3, 16). C’est la filiation divine – image de Dieu – qui va être difficile, non pas l’accouchement. Ce chagrin arrive tout de suite dans le récit, avec Caïn, possédé par sa mère Eve, elle-même dominée.

Plus loin dans la Genèse, il est écrit : « Adam connaît sa femme » (4, 1 ; 4, 17). Comme par hasard, c’est l’homme qui est sujet et la femme objet de connaissance ! Quel était donc le verbe de l’amour avant qu’ils aient perdu la loi de relation ? « L’homme quittera son père et sa mère, il s’unira (davaq) à sa femme » (2, 24). Davaq signifie « joindre ensemble ». Là, personne n’est objet. Comment une vie humaine va-t-elle passer du mode de désir « je te mange » (celui du nourrisson) à « nous nous unissons » ?

[1] Pour les chrétiens, entre parenthèses, une communion au corps du Christ qui ne serait pas enracinée dans l’écoute de la Parole pourrait relever d’une religion bien infantile. Mais à bien y réfléchir, le « manger » du fruit de l’eucharistie ne vient-il pas réconcilier celui du fruit de la Genèse ? A la Messe, le Christ ne disparaît pas en nous. Il demeure en nous pour que nous demeurions en lui sans confusion ni séparation. Il se donne à nous pour que nous nous donnions aux autres. La logique du don vient guérir celle de la possession par le manger. Dans cette ressemblance au Fils qui se donne par amour, nous devenons Dieu, oui, mais comme filles et fils, dans la communion d’un tout-Autre que nous ne saurions jamais « dédifférencier » (jlc).)