Paroisse Saint-Paul et Sainte-Croix

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Diocèse de Montpellier

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Le Fils de l’homme

2 juin 2020, par Jean-Louis Cathala

Comment évoquer en quelques mots cette expression magnifique et un peu énigmatique ? Elle est très fréquente dans les évangiles, mais absente chez St Paul et ignorée par les Credos des premiers siècles. Trop complexe et trop juive ? C’est le beau titre oublié de notre Seigneur ! Précisons tout d’abord que c’est un contre-sens de dire que « fils de l’homme » soulignerait l’humanité de Jésus et que, symétriquement, « fils de Dieu » soulignerait sa divinité. C’est même un peu l’inverse ! Dans les 3 évangiles synoptiques, fils de l’homme a presque toujours une dimension transcendante, alors que fils de Dieu désigne presque toujours le messie humain, fils de David. (En St Jean, cependant, le fils de Dieu ou le « fils  » sera l’égal du « Père ».)

Partons de l’Évangile selon Matthieu dans lequel on rencontre le plus souvent le titre de Fils de l’homme (ou « fils de l’humain ») : au moment de la Passion, après avoir demandé à Jésus s’il est « le Christ, le Fils de Dieu  ? », le grand prêtre déchire ses vêtements et crie au blasphème quand ce Jésus parle du Fils de l’homme qui siège «  à la droite de la Puissance » et qui vient « sur une nuée céleste » (chapitre 26, versets 63-65 ). Cette scène en dit long ! La foi en l’Exalté auprès de Dieu sera de fait le point de rupture (de déchirement !) entre la communauté juive matthéenne et son environnement pharisien.

Le Fils de l’homme Huios tou anthrôpou en grec – est un titre qui se réfère clairement à un seul texte de la Bible juive : les versets 13 et 14 du chapitre 7 de Daniel, écrit tout d’abord en araméen autour de 170 avant notre ère. Le Bar Enash (fils d’homme) est au départ une figure collective, une allégorie des « saints du Très haut », c’est-à-dire du peuple de Dieu ( Daniel, chapitre 7, verset 18.22.27 ). Après Daniel, deux ouvrages extra-bibliques, le 1er Livre d’Hénoch et le 4ième Livre d’Esdras, feront aussi mention du Fils de l’humain. Le personnage fait partie de la culture de Jésus et de ses contemporains ; il est devenu un titre personnel que le peuple attribue au Messie attendu. Dans l’Evangile selon Jean, cette figure messianique d’origine céleste fournira un cadre idéal pour interpréter l’existence du Fils qui remonte par l’élévation de la Croix vers un ciel d’où il est déjà venu. Chez Matthieu, en revanche, le Huios tou anthrôpou ne vient pas du ciel ! Ce sera seulement le cas lors de sa venue pour le Jugement dernier (chapitre 25, verset 31 ). Il viendra « avec son Royaume ». Le lien que le Premier évangile établit entre cet Huios tou anthrôpou et le Royaume est une allusion à la vision de Daniel, quand ce récit nous dit que le Bar Enash, conduit en présence de « l’Ancien des jours » ( le Dieu d’Israël ), reçoit « empire, honneur et royaume  » ( chapitre 7, verset 14). « Son règne n’aura pas de fin  », lira-t-on dans le récit de l’Annonciation de Luc (chapitre 1, verset 33). Pour Daniel Boyarin, le Fils de l’humain du Livre de Daniel est une figure divine qui permet de comprendre que les éléments fondamentaux de la foi au Christ ressuscite étaient déjà présents dans la tradition juive avant même la naissance de l’enfant de Nazareth  ! (Thèse audacieuse - Le Christ juif, cerf 2013.)

Comme les autres titres donnés au Ressuscité qui « siégera sur son trône de Gloire  », Fils de l’homme est appliqué de façon rétroactive à l’ensemble du parcours de Jésus : Il « a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés  » ; il est « Maître du Sabbat » ; il « sème le bon grain  » ; il est venu non pour être servi, mais « pour servir et donner sa vie… ». Dans les annonces de la Passion, il est à la fois glorieux et fragile.

Le Christ a-t-il été pris pour le Fils de l’homme par ses compagnons ? Il semble que non : si cela avait été le cas, pensent certains, jamais ils ne l’auraient abandonné (J.S. Spong - La résurrection, mythe ou réalité  ? - Karthala 2016 ). D’ailleurs, dans les évangiles, personne d’autre que Jésus ne se sert de ce titre (exception : Jean 12, 34). C’est seulement à la lumière de la résurrection qu’ Étienne pourra confesser la foi de l’Église au Fils de l’humain exalté à la droite de Dieu ( Actes, chapitre 7, verset 56. note de la TOB : « seule mention de ce titre hors des évangiles dans la bouche d’un autre que Jésus ». Voir aussi : Apocalypse 1, 13 et 14, 14 ). Comme le dit Daniel Marguerat, « c’est après Pâques que les disciples ont pu dire (comme dans le cas du Messie) que Jésus avait été le Fils de l’homme, mais autrement, c’est-à-dire par sa mort » ( Vie et destin de Jésus de Nazareth- Seuil 2019, p. 220 ).

Autre question : pourquoi Jésus parle-t-il du Fils de l’homme à la troisième personne ? Selon certains exégètes, il n’aurait pas, du moins dans un premier temps, utilisé ce titre pour se désigner lui-même ( André Myre - « Nouveau vocabulaire biblique  », p. 401-406 - Bayard 2004). Il s’en servait pour déclarer sa conviction de voir son comportement authentifié par ce mystérieux personnage au Jour du Jugement. Ceci apparaît à la lecture de Marc, chapitre 8, verset 38 : « Celui qui aura honte de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme aura honte de lui, lorsqu’il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges ». Mais le texte parallèle de Matthieu témoigne d’une évolution : « Qui me reniera devant les hommes, je le renierai, moi aussi, devant mon Père qui est dans les cieux » (chapitre 10, verset 33). En fait, avec le temps, la référence au Huios tou antrôpou a été tellement forte dans le cœur de Jésus qu’elle est devenue son bien propre ! Cependant, même dans la foi en son exaltation, qui a permis de comprendre qu’il était bien le Bar Enash de Daniel, les disciples n’ont pas osé employer l’appellation dans la bouche du Christ autrement qu’ à la troisième personne ! Marguerat précise l’interprétation : selon lui, « si Jésus n’a pas déclaré ouvertement qu’il était le Fils de l’homme à venir, c’est que, pour la tradition juive, cet être est élu par Dieu et vient de lui » (op. cit., p. 222). Il s’est bien gardé de se désigner lui-même comme Fils de l’humain - pas le genre de la maison - car cela aurait signifié pour lui anticiper le choix de Dieu. Ce sont donc les Évangélistes qui, après l’élévation du Crucifié, ont procédé à cette identification claire entre Jésus et le Fils de l’homme.

Le Fils de l’humain est ainsi une figure incontournable de notre foi et de notre avenir ; il nous libère de toute peur : « Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant ; je fus mort, et me voici vivant pour les siècles des siècles » (Apocalypse, chapitre 1, verset 17).

Jean-Louis Cathala